Compte-rendus de lectures, visionnages, recherches, études ...

« Zombis : enquête sur les morts-vivants », un livre de Philippe Charlier

  1. L’auteur un peu rapidement
  2. Le vaudou
  3. Le livre
  4. Bilan
  5. Bonus problématiques
  6. Informations pratiques

1. L’auteur un peu rapidement :

Pour info / rappel / minute Stéphane Bern : Philippe Charlier, né en 77 en Île-de-France, est notamment connu pour avoir participé à la rectification historique concernant le décès de Louis IX (mort du scorbut et non la peste comme on le croyait jusque là) et présenter Le Magazine de la santé sur France 5 . Pour les curieux·ses, le monsieur a un compte facebook, un compte twitter, une page Wikipédia et probablement tout un tas d’autres manifestations internétiques. Son activité est à la rencontre de la médecine légale et de la paléo-anthropologie ; en gros : il travaille habituellement à partir de personnes décédées depuis un temps certain.

Par rapport au sujet qui nous occupe, il peut être intéressant de noter que l’auteur annonce lui-même qu’il a « été initié au vaudou près d’Abomey (Bénin), sous la consécration de Zakpata, dieu tutélaire de la terre et des maladies de peau (rougeole et variole, principalement) » (p.190 du livre en question). Au cas où, la république du Bénin est un pays d’Afrique de l’Ouest, entre le Togo et le Nigéria. Abomey est la capitale historique du Bénin (la capitale politique étant actuellement Cotonou) car ancienne capitale du Royaume de Dahomey.

2. Le vaudou :

Présentation générale

Charlier nous parle donc ici des zombis issus de la pratique du vaudou en Haïti. En cas de besoin : la république d’Haïti, établie en 1804, est située dans les Caraïbes, sur le tiers ouest de l’île d’Hispanola. Le terme « vaudou » signifie « esprit », « divinité » et est issu de vodun, en langue fon (parlée au Bénin), qui désigne une « puissance invisible, redoutable et mystérieuse, ayant la capacité d’intervenir à tous moments dans la société des humains ». Ses équivalents connus sont : le candomblé (Brésil), la santeria (Cuba), l’obeyisne (Jamaïque), et le shango cult (La Trinité).

Les praticiens bénéfiques sont nommés houngans pour les hommes et mambos pour les femmes, alors que ceux choisissant de plus malveillants chemins sont appelés bokors. Ces derniers sont ceux qui peuvent capturer une partie de l’esprit d’un autre être humain, le ti-bon-anj, afin d’en faire un zombi. Le ti-bon-anj  est enfermé dans une bouteille (ou contenant similaire) et le corps de la victime récupéré directement dans son cercueil via une cérémonie chronophage est alors soumis aux ordres du bokor. De fait, toutes les personnes liées au vaudou n’ont pas forcément rencontré de zombis, et ses prêtres et prêtresses elleux-mêmes peuvent ne pas être confrontés au phénomène durant leur carrière.

Zombification : causes et conséquences

Les pratiques vaudou ne se limitent donc pas à la zombification, qui reste anecdotique, mais cette dernière rencontre un succès ainsi qu’une curiosité populaires soutenus depuis les premiers films de Romero. Réalisée via la mise en contact progressive d’une victime avec la tétrodotoxine, un poison neurotoxique présent notamment chez les tétraodons dont fait partie le fugu (aussi appelé « poisson-ballon » ou « poisson-globe » ), la zombification est un processus physiologique lent (car si on administre la dose nécessaire de tétrodotoxine d’un coup la cible décède d’une mort dont on ne peut la réveiller).

D’abord étudié par l’ethnologue afro-américaine Zora Neale Hurston à la fin des années 30, laquelle a eu accès aux sociétés secrètes et a produit le premier travail anthropologique sur le sujet ainsi que la première photo d’un zombi, le phénomène de zombification a été expliqué par l’ethnobotaniste Wade Davis, dans son livre The Serpent and the Rainbow publié en 1985. Ainsi, si la structure sociale comme les réactions chimiques permettant la zombification sont connues depuis déjà quelques années, les conséquences sociales du processus restent assez peu documentées.

Zora Neale Hurston

Wade Davis

En effet, d’après Charlier, le manque de cadres administratifs et légaux freinent considérablement les études portant sur le phénomène ainsi, malheureusement, que le diagnostic et donc la guérison des victimes. Le fait que les enregistrement à l’état civil ne soient ni systématiques ni rigoureux et que le décès d’une personne puisse être déclaré par ses proches sans examen médical fait qu’il est relativement aisé de simuler une filiation, de changer d’identité, de faire disparaître certains individus voire de remplacer un membre de la famille par quelqu’un d’autre.

Aussi, que la victime ait subi le processus de zombification car elle était considérée comme dangereuse pour son groupe social (un « zombi rituel » d’après Charlier) ou parce que quelqu’un de malveillant souhaitait s’en débarrasser (un « zombi criminel » d’après Charlier), il ne peut en l’état réintégrer la société haïtienne (donc se marier, voyager, louer un appartement, etc.) dans la mesure où il n’a pas d’existence légale. Toutefois, afin de remédier à cette situation, l’avocat Emmanuel Jeanty essaie de faire entrer dans la loi un « certificat d’adoption » qui permettrait aux membres de la famille d’origine de la personne zombifiée de réintégrer cette dernière dans le groupe.

Parallèles avec l’esclavage

Haïti est une ancienne colonie française, peuplée de force d’esclaves noirs enlevés d’Afrique vers les Caraïbes et exploités dans les champs ou les foyers de blancs établis sur place. D’après les personnes ayant vu des zombis, ces derniers mangent à même le sol, sur des feuilles de bananiers, et travaillent dans des champs ou dans des maisons, ils sont victimes de sévices physiques (en plus de l’empoissonnement de départ) divers, Charlier mentionne notamment une femme zombi tombée enceinte, et un nouveau nom leur est assigné. Ces caractéristiques rappellent les traitements imposés aux esclaves par les colons français et font écho à l’hybridation du vaudou d’une façon plus générale.

En effet, les esclavagistes ayant imposé le catholicisme à leurs victimes, et ces dernières ayant été coupées de leurs terres comme de leur famille, elles en sont venues à élaborer une culture syncrétique ancrée dans leur situation d’alors, au carrefour de ce qui leur avait été arraché et de ce à quoi elles étaient forcées. C’est pourquoi les loas (esprits) du vaudou présentent des caractéristiques rappelant des figures chrétiennes.

La communication avec les loas s’entreprend notamment à l’aide d’un vévé (dessin rituel à base de différents pigments, qui consacre un espace pour la-dite communicationmais peut être effacé par les danses durant la cérémonie ou à posteriori) et de sacrifices spécifiques à l’esprit concerné. D’après l’ethnologue Louise Carmel-Bijoux, les vévés auraient pu être transmis aux Haïtiens par les Taïnos, des Amérindiens des Caraïbes presque exterminés par les Européens entre le XV et le XVIème siècle.

3. Le livre :

La structure du livre est peu définie. Il y a bien un découpage en chapitres, chacun plus ou moins rattaché à une personnalité rencontrée par l’auteur, mais pas de progression. Cela confère un rendu fourre-tout à l’ouvrage qui n’aide pas à l’organisation des connaissances, impression renforcée par le manque de glossaire (d’autant qu’un même terme peut être définit différemment selon les pages).

Cela étant, le livre reste une bonne synthèse de précédents travaux et a le mérite d’aborder les questions légales que posent l’existence de zombis. De plus, pour ceux qui apprécient l’aspect « carnet de voyage » des livres d’anthropologie (spéciale dédicace à pépé Claude), le texte remplit bien ce côté immersion dans un ailleurs exotique, à travers diverses descriptions de cimetières et de trajets en voiture notamment.

4. Bilan :

L’auteur donne l’impression d’avoir voulu se filmer. Le livre n’est pas inintéressant pour les personnes qui ne connaissent absolument rien au vaudou mais suivre Philipper Charlier partout et lire ses états d’âme n’est pas non plu transcendant. De fait, je pense que les personnes intéressées par le vaudou peuvent emprunter le livre, il est court et introduit certaines pratiques en passant (poupées, vévés et sacrifices notamment), mais ne sera vraisemblablement pas une révélation (concernant le vaudou, la vie de Charlier ni l’éthique des scientifiques).

5. Bonus : quelques petits soucis au fil des pages :

► L’Afrique est un continent de plusieurs centaines de milliers d’années d’histoire(s), faire des généralités sur sa « culture » et / ou sa « tradition » comme s’il s’agissait d’entités figées et homogènes c’est peut-être un peu ambitieux.

p27-28 :
« cette vision se rapproche du concept africain traditionnel qu’aucune mort ni aucune maladie n’est naturelle […]. »
p 80 :
« village africain »
p 125 :
« on peut considérer que sur ce territoire [Haïti], comme sur tous ceux de tradition africaine, presque toutes les morts sont suspectes »

► Aussi, « noir-africain » ça passe très bien quand on est soi-même très blanc.

p22 :
« La République haïtienne est à la confluence de trois cultures principales : négro-africaine, caribéenne et française. »

► L’anthropologie c’est sérieux et la discipline souffre de ce type d’énoncés infondés et hasardeux ainsi que de ce type de comportements de merde :

p 101 :
« je découvre un capharnaüm avec de nombreux crânes, vraisemblablement récupérés de tombes voisines »
p 104 :
« Je profite de l’occasion [se trouver devant un arbre portant nombre de poupées] pour collecter sept de ces poupées vaudou ; elles vont transiter sur le balcon de ma chambre d’hôtel en attendant d’être désactivées rituellement. Une fois revenu à Paris, un examen radiographique révèle dans leur remplissage (bourre) la présence d’objets appartenant à la cible : fermeture éclair, bouton, etc. D’autres sont percées d’innombrables aiguilles : j’ai pu en compter jusqu’à une centaine sur une des poupées doubles !  »

► Ne connaissant pas l’auteur, je ne peux l’accuser de misogynoir. Néanmoins, les femmes noires ne sont jamais actrices de quoi que ce soit dans le livre, quoique leur apparence physique soit cependant toujours détaillée. Deux servent de décor et les deux autres sont des zombis dont l’auteur utilise l’histoire personnelle pour son livre. La seule qui fasse quelque chose est Louise Carmel-Bijoux, une ethnologue amie d’une connaissance de l’auteur.

p 107 :
« une femme opulente surgit brutalement entre deux concessions  » + avec description de sa marche, de ses yeux révulsés, des claques sur la croix et des caresses sur son corps. Circonspection/10.
« À un jet de pierre, Fanny, la mambo de Dame Brigitte, regarde la scène d’un air désabusé. Assise sur l’escalier menant à une tombe monumentale, en guenilles et pieds nus, opulente, sa longue pipe fumante dans sa bouche quasi édentée, elle en a vu d’autres « .
p 142-143 : (au sujet d’Adeline D., patiente du docteur Girard, en hôpital psychiatrique, dont il décortique la situation et jusqu’au cerveau)
« Adeline D. est le siège d’une atrophie au nivau du cortex en topographie frontale et pariétale »
« Adeline D. passe son temps (si l’on peut dire) à faire des crises épileptiques »

À titre de comparaison, voici les descriptions que Charlier dresse des hommes dont il parle :
_ Max Beauvoir, houngan et ati p 51
« Max Beauvoir impose le respect : sa carrure, son autorité, sa voix chaude, ses belles mains musculeuses, ses rides et ses cheveux blancs, ses publications, tout fait qu’il habite les lieux avec une incroyable intensité. »
_ Jacques Ravix, médecin gynécologue et zombi, p 69
« Jacques Ravix est mon premier patient en Haïti, mais aussi mon confrère, puisqu’il est médecin gynécologue. En 1994, il est passé de « l’autre côté » et conserve, depuis cet accident, quelques séquelles neurologiques : une importante dysarthrie et des difficultés à la marche.  »
« En médecin clinicien, Jacques Ravix […] »
_ Erol Josué, p 77-78
« De prime abord, on ne sait pas très bien si Erol (que le quotidien Libération a surnommé  » port de prince vaudou « ) est un prêtre ou une rock star, avec sa voix éraillée, ses cheveux crépus teints en roux, ce maquillage noir intense autour des yeux, ce sourire désarmant ; aujourd’hui il porte un jean noir moulant et un large T-shirt Nirvana. Cet artiste total (il est aussi chanteur et danseur) cumule les activités culturelles puisque le nouveau président de la République haïtienne (Michel Martelly, lui-même ancien chanteur à la mode) l’a propulsé directeur du Bureau national d’ethnologie (BNE). »
« maître des lieux »
_ Joseph Lixei, p 92
« un homme âgé, voûté, qui marche en boitant avec des vêtements rapéciés, mais il a la poignée de main forte et le regard droit ».
_ Avocat Emmanuel Jeanty, p 111
« avocat en droit pénal au bareau de Cap-Haïtien »
« maître Jeanty »
_ Docteur Girard, p 135
« le docteur Girard exerce à l’hôpital psychiatrique de Port-au-Prince »
« Sosie de Morgan Freeman, le docteur Girard respire la bienveillance. »

Dans une interview donnée au Point à l’occasion de la sortie du livre, il déclare :

« L’un des zombis les plus connus et étudiés, Clairvius Narcisse (1922-1964) a réussi à s’échapper et s’est offert une très belle seconde vie. Toutes les femmes lui couraient après pour voir ce que cela faisait de coucher avec un zombi ! »

► Le tout assaisonné d’une petite touche de mépris bien sympa.

p 128 :
« […] tous les houngans n’ont pas cette part sombre et maître Jeanty est certain que la majorité d’entre eux viendront prêter serment devant la justice du pays pour contrer les effets provoqués par les bokors, comme dans une lutte manichéenne entre le bien et le mal. Quand on lui dit que cette vision fait un peu penser à Harry Potter, il sourit également, mais il y croit dur comme fer. « On ne parle pas de baguette magique, ici, ni de balais qui volent. Il s’agit d’hommes enterrés vivants dans des cercueils qu’il faut sortir avant qu’ils ne soient totalement morts, ou dépister avant qu’ils ne soient mis sous terre. »  »
p 168 : « conte de bonne femme »

6. Informations pratiques :

ISBN : 1021031135
Prix : 8.50€
Année de publication : 2018

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.